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Le pavillon du cinéma
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27 novembre 2006

Le Dahlia noir (The Black Dahlia), de Brian De Palma

affiche

Voici pour moi l’un des grands événements ciné de l’année. Adaptant le roman de James Ellroy, De Palma revient avec une œuvre en quelque sorte de synthèse de ses obsessions, thèmes fétiches et mises en scène de prédilection. C’est du cinéma à l’œuvre, brillant, sûr de sa force, et qui avance à la fois en exhibant ses ressorts tout en emmêlant savamment les fils de l’intrigue. Un des films à absolument aller voir en ce moment au cinéma.

Celle-ci donc, histoire d’y voir plus claire :

Dans les années 40 à Los Angeles, Bucky « Ice » Bleichert (Josh Hartnett) et Lee « Fire » Blanchard (Aaron Eckhart) deux flics boxeurs se lient d’amitié et montent doucement dans la hiérarchie. Alors qu’ils sont en plaque pour une affaire, derrière l’immeuble qu’ils surveillent est retrouvé le cadavre atrocement mutilé d’une jeune femme, apprentie comédienne et aspirante starlette : Elizabeth Short (Mia Kirshner). Lee décide d’abandonner l’affaire en cours pour se consacrer uniquement à cette enquête. Son engagement exagéré dans celle-ci inquiète son partenaire, qui découvre que l’état de Lee est lié à son passé qui menace de refaire surface. Pendant que Lee s’enferme dans son obsession, Bucky mène deux enquêtes en parallèle : celle sur la mort d’Elizabeth Short auprès d’une jeune femme envoûtante de la haute société, Madeleine Sprague Linscott Hilary Swank), et celle sur l’état de son ami auprès de sa compagne Kay Lake (Scarlett Johansson).

dahlia_noir
Les larmes du Dahlia Noir

Le Film

Déjà, je n'ai pas lu le roman D’Ellroy. Peut-être raison pour laquelle l’intrigue m’a paru sacrément embrouillée. Pas tant dans sa progression, que l'on suit bien, mais dans son dénouement. Le tout est résolu en trois phrases, si vous avez pas bien écouté c'est foutu... Mais ça ne m'a absolument pas gêné, car les détails qui justifient la complexité de l'intrigue ne sont pas si importants pour le film qui s'est échiné pendant toute se durée à déplacer le centre de gravité de l'action. Donc à la fin on comprend de toute façon en gros, même si les détails échappent, et ce n'est pas un gros souci. L’essentiel de l’action est saisi, et ce n’est pas tant ce niveau de compréhension qui appellerait un nouveau visionnage du film, que la structure profonde, extrêmement riche et complexe.

Alors qu'est-ce qui est important? Ce sont en grandes parties ces motifs que l'on décèle fréquemment chez De Palma, et dont il semble avoir voulu faire là une synthèse monstrueuse. De point de vue le film est pour moi une mine inépuisable. Car tout devient objet du jeu d'une mise en scène tout en faux-semblant et fausse pistes. Cela soutenu par une sorte de rhétorique de l'emphase: De Palma souligne son propos d'une manière qui peut paraître assez lourde (c'est ce qui lui est souvent reproché), mais cela fait partie précisément de la poétique qu'il déploie, et consiste le plus souvent en un leurre, un effet d'écran qui détourne le regard de qui se passe, de l'effet créé. J'ai donc été pris dedans assez rapidement car tout m'a paru faire écho, système à l'intérieur du film, depuis le début faussement poussif du combat de boxe jusqu'à l'apparition de fantômes, d'images obsédantes à la fin justement.

hilary
La Brune Hilary...

Tout se joue et se rejoue à chaque scène du film qui ne cesse de se déplier/replier dialectiquement. J'insiste lourdement moi-même, mais c'est parce que c'est l'effet que m'a fait ce film. Il fait partie de ces rares moments au cinéma où je me trouve proprement subjugué par l'image: elle me place véritablement sous son joug. Peu de film m'ont fait un tel effet cette année: La Jeune Fille de l'eau à coup sûr, peut-être Miami Vice, et depuis également Cœurs. Ce sont des films que je ne cesse de reprendre dans tous les sens quand j'y repense, avec toujours des éléments nouveaux qui apparaissent. Et là le plus impressionnant, c'est que le Dahlia Noir fait système aussi avec les De Palma que je connais un peu et apprécie, ceux des années 70-80. Obsession, Pulsions, Body Double, Blow Out, etc. Après Carlito's Way, j'adhère moins, je comprends moins. Mais finalement grâce au Dahlia Noir j'ai l'impression que je pourrais revoir Mission Impossible et les suivants, ne me laissant plus arrêté par ces effets d'emphase dont je parlais plus haut et qui m'éloignaient du cinéaste. J'ai le sentiment avec ce film d'en avoir un peu saisi le sens.

Alors oui tout y est qu'on connaît déjà: les double, les miroirs, les signes à réinterpréter, les mises en abîmes (les bobines retrouvées d’Elizabeth Short sont des trouées vertigineuses et fascinantes), les mélanges d'intrigues avec retournement ironique, les obsessions (l'image est d'abord obsédante, tout comme le son avec lequel elle doit difficilement fait corps), les traces laissées, les déguisements, le meurtre, etc. De même pour les jeux de caméra: l'entrée chez les Linscott est à ce titre exemplaire. Tout y est, visible, et pourtant tout échappe. Je ne sais pas trop comment expliquer cela. On peut en rester à l'idée qu'il y a là une juxtaposition de scènes icones enchaînées les unes aux autres par une intrigue sophistiquée. Mais c'est là le leurre le plus important. L'intrigue devient une image d'une autre action jouée derrière elle par les liens tissés entre elles par les scènes elles-mêmes. Et ça, ça n'a pas de fin, et appelle le film à être vu et revu. C'est vraiment fort, et absolument pas fastidieux grâce à l'intrigue policière. Pour donner une image pompeuse mais assez connue, c'est un peu comme la remontée de la caverne chez Platon: il y a quelque chose qui se passe sur le mur, mais si on se retourne l'action est la même tout en changeant de nature, et donc de sens. Je suis obligé d’être allusif pour ne pas gâcher les effets du film, mais il s’agit bien là d’un film inquiet, une œuvre qui se refuse au repos, et qui continue à nous agiter bien après l’avoir vue.

scarlett
...face à la Blonde Scarlett

Autour du film

Après avoir ainsi brassé des généralités dans le but de vous pousser à aller voir ce film, petite remarque ponctuelle : l'intérêt de De Palma pour les escaliers. C'est vrai que c'est un motif qu'il affectionne et qu’il travaille souvent dans ses films. Mais je complèterai par deux références en dehors de son oeuvre. D'une part une qu'il cite lui-même (entendu dans une interview) et assez évidente: Hitchcock, obsédé par cette figure d'annonce de drame. Et dans Le Dahlia noir les escaliers sont partout, oppressants et menaçants. A côté du maître du suspens, on peut déceler la présence de Dario Argento, le maître de l'angoisse italien. De Palma s'intéresse à ce cinéma (et ce n'est pas un hasard si c'est en Italie que De Palma est le plus apprécié et compris), et Dario Argento utilise également des escaliers dans ses films. Je pense là au Sang des innocents (je crois, j'ai tendance un peu à en mélanger certains) où une scène d'escalier dans une maison contemporaine évoque furieusement celle du Dahlia Noir, mais en en renversant la structure entre victime et meutrier (en plus dans Le Dahlia Noir, le mystère qui entoure la scène de l'escalier évoque par ailleur Dressed to Kill). Cette scène d'Argento, il me semble avoir lu ou entendu qu'à la fois de Palma et Tarantino en étaient fous (faut dire qu'elle commence par une exploration des lieux par la caméra absolument diabolique). En outre, toute la fin du Dahlia Noir me paraît faire écho au Syndrôme de Stendhal d'Argento, un autre de ses derniers films, là encore par un système de renversement. Tout ça pour dire que définitivement Le Dahlia Noir est une mine et peut plaire à tous les niveaux!

Enfin, je fais un petit hors sujet, mais il se trouve qu'en ce moment il y a au moins trois films à l'affiche qui traite plus ou moins sensiblement de la même chose, et de manière très différente: Le Dahlia Noir, Scoop, et The Prestige. Dans les trois le cinéma se trouve mis en question, évoqué à travers la question de la hantise, du jeu, de la magie, des fantômes, le tout sur fond d'intrigue policière. A chaque fois c'est le problème du hors-champ qui est interrogé, de ce que le spectateur ne doit pas voir et doit pourtant saisir, ou de ce qu'il voit et qu'il doit déchiffrer. Je ne place pas ces trois films au même degré de réussite, mais je trouve étonnant que tous trois tournent au même moment autour des mêmes questions, et surtout en proposent un mode de lecture utilisant les mêmes outils analogiques et poétiques, pour des discours et points de vue différents. A chaque fois il y a un cadavre dans le placard, et à chaque fois je me demande s'il ne s’agit pas du spectateur ou du cinéma, comme si l'image oscillait entre un statut d'arme fatale et de victime nécessaire. Je ne suis pas très clair là, mais c'est parce que je suis encore très confus après avoir vu ces trois films qui résonnent ensemble, mais dont je démêle peu les fils qui les relient.

affiche_2

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Commentaires
G
N'ayant hélas pas encore vu le film, je peux déjà dire que le livre est un petit bijou qui nous tiens en haleine pendant un bon moment telement on est saisi par l'intrigue
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