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Le pavillon du cinéma
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13 février 2007

INLAND EMPIRE, de David Lynch

affiche_inland_empire

Alors, avant de commencer, je situe l’action. Pas celle du film – ben non parce que y en a pas, mais bon en soi c’est pas un drame – mais celle de cette critique. David Lynch, je l’ai découvert avec la série Twin Peaks, sur M6, et depuis je le suis avec ferveur et enthousiasme. Lost Highway ou Mulholland Drive m’ont fasciné. Mais là, franchement, je ne suis plus. J’ai été atterré tout au long de la projection de INLAND EMPIRE, et je reste depuis sidéré par l’unanimisme qui entoure ce film et l’encense comme la grande production cinématographique de l’année, voire de la décennie, comme j’ai pu le lire ici ou là. Je ne suis pas coutumier de l’éreintement, et d’habitude je ne parle pas des films qui m’ont déplu, mais dans ce cas particulier ma déception et mon étonnement face à ces louanges quasiment de principe, sans aucune portée critique à mon sens, aveugles et moutonnantes, parce que ça fait bien de reconnaître le génie là où tout le monde déclare le voir, me poussent à entamer cette chronique.

Alors bon, ce film débute par une séquence de couloir, noir et blanc, contrée étrangère, personnages aux visages effacés. On se dit que Lynch y va directement d’entrée de jeu. Pourquoi pas. La beauté plastique habituelle a fait place à une dv un peu cracra mais ça revêt indéniablement un certain charme. Puis on a le début du motif des lapins. Je vous passe parce que on glose beaucoup autour. Mais bon, si la découverte de ce procédé à la fois de distanciation, de mise en abyme, et de rupture ou de contrepoint dans la narration, est bien marquée, le procédé lui-même en devient au fil du film terriblement insistant, voire lourd. Et sa dimension comique à travers l’écart posé au départ devient, à force de répétitions, inquiétant (ça passe encore), mais finalement pesant et vain.

Puis arrive le premier niveau narratif. Une jeune starlette en devenir s’installe dans une banlieue de Hollywood, avec son mari dont on apprend rapidement qu’il est du type mafieux qui fait peur. Elle reçoit la visite d’une voisine complètement barrée, tout droit sortie de l’univers lynchien (elle me rappelle la mère de Laura dans Twin Peaks mais je suis pas bien sûr). A travers elle c’est la question de l’écoulement du temps qui est posé, du passé et du présent infiniment réversibles, et on sent déjà que le cinéma va s’interroger sur son statut de durée, de déroulement, bref sur sa dimension proprement musicale finalement, paradoxe pour ce qui semble d’abord de l’image, mais est en fait une succession d’images (yeah…). Et là-dessus la spécularité se rajoute à travers la figure de la comédienne, appelée à jouer un rôle, et un rôle déjà joué qui plus est puisque – et c’est là le faux retournement de ce début d’intrigue – ce film qui va se tourner devant nous est finalement un remake. Mais pas un simple remake, non, ce serait trop facile. Le remake d’un film qui ne fut jamais achevé…

On le comprend là : l’intrigue joue à se creuser sans fin. Cette première partie du film, je l’ai pas trouvé passionnante, mais bon… Ca m’a semblé assez mou, et les emboîtement successifs m’ont paru là pour compliquer artificiellement ce qui n’avait pas beaucoup de substance. Pour moi plutôt un aveu d’impuissance qu’une réflexion – syllepse de sens – poussée et profonde. Mais se produit alors l’habituel retournement des films de Lynch, la plongée dans la folie ou le rêve, le moment ou tout bascule et où des univers contradictoires se rencontrent, se chevauchent ou se superposent, bref entrent en relation. C’est ça que j’aime habituellement chez Lynch, cette dimension qui met en péril la narration, qui pose problème et produit un suspens. Mais là se produit une sorte d’emballement du procédé : le retournement en appelle un autre, puis encore un autre, etc. Ca n’en finit plus. Et le film non plus. Je sais bien qu’avec ce titre on pouvait s’y attendre, mais quand même… Passé la surprise, j’ai rapidement décroché parce que le film s’évide proprement. Les scènes se succèdent, mais plusieurs paraissent ne pas avoir de lien avec le déroulement d’ensemble. Les pièces sont bien ciselées, mais petit à petit je me suis ennuyé ferme, voire plus… Voir des courts expérimentaux, pas vraiment aboutis, faussement raccordés les uns aux autres à travers la performance d’un actrice, si excellente fut-elle, ou à travers la figure de la spécularité, très franchement, j’ai pas besoin d’aller au ciné – commercial –  pour ça, et surtout j’ai pas attendu Lynch pour m’y intéresser. A partir de là le film fait semblant de raconter quelque chose, mais après tout ça, ça ne me dérange pas. Mais surtout il ne dit plus rien. Il n’a en fin de compte plus aucun discours. Selon moi s’entend. Et l’attente du dénouement, ou plutôt de l’arrêt des hostilités puisque on comprend que les écarts pourraient indéfiniment succéder aux écarts, et les plis être infiniment repliés et dépliés, se fait lentement et douloureusement attendre

Alors voilà. J’ai du mal à entendre cet encensement collectif, qui confine parfois au ridicule. Et pourtant, d’habitude, les plans snobinards bobo branchouilles je marche à fond dedans… J’ai plusieurs fois lu que ce film exceptionnel ne se laissait comprendre qu’après plusieurs visionnages. Et très franchement je me demande combien de ceux qui ont écrit ce genre de commentaires se sont véritablement donnés la peine d’aller revoir INLAND EMPIRE. Après avoir constaté cette doxa sur le film, j’ai même hésité à y retourner, me disant que je devais être le dernier des idiots. Mais j’ai finalement renoncé, me remémorant le supplice qu’avait été la dernière heure de la projection. Je suis du coup condamné à m’enferrer dans mes limites et mon jugement négatif…

J’ai le sentiment que Lynch a voulu démesurément rendre hermétique son film. Mais qu’il en perdu en route l’idée même du cinéma. Et tous ceux qui constatent leur impuissance face à cette œuvre en déduisent son génie, se rangeant du côté d’une œuvre qu’ils pensent incarner une supériorité intellectuelle. On pourrait toujours dire que Lynch tente de construire une passerelle entre le ciné grand public et la pratique artistique de la video, mais faut pas non plus être dupe. L’usage de la video, ou du moins de cette pratique arty de l’image, ça fait quand même plus de quarante ans que ça existe. Ca n’a pas attendu Lynch. Et même dans une histoire récente et médiatique, sans aller chercher très pointu, on pourrait évoquer Matthew Barney. Et côté cinéma même c’est surtout une grande vacuité qui ressort. On pourrait encore rétorquer qu’il y a une œuvre qui se met en place, qui explore de nouvelles pistes. Mais avec ce film j’ai l’impression qu’elle s’effondre, ou plutôt qu’elle se gargarise dans une répétition inlassable de motifs éculés, devenus les clichés du cinéaste à défaut d’être la manifestation d’obsessions (si seulement !). On retrouve ainsi la réversibilité blonde/brune, le fantasme lesbien, les acteurs, les couloirs, la matière rouge (rideau) face à la transparence de la lumière bleue, etc. Et finalement c’est bien ça qui fait défaut dans ce film pour moi. Son identification à la lumière de la révélation au détriment de la matière. En somme INLAND EMPIRE se fait pure manière et tend à s’abstraire de toute matière, en fait de tout sujet, et enfin de tout propos. Le sacrifice est grand, et témoigne pour moi d’une erreur profonde, et d’un échec conséquent.

Lynche semble le dire lui-même. Il a des révélations, des sortes d’épiphanies d’idées qu’il met bout à bout, et c’est ainsi que l’histoire prend forme (cf les questions auxquels il répond sur Allociné). Mais on ne fait pas une œuvre avec des idées. C’est là quelque chose d’assez aberrant je trouve, et qui me surprend vraiment, me déçoit de la part de Lynch. Je renvoie à la discussion entre Degas et Mallarmé rapportée par Valéry dans Variété je crois dans laquelle Degas se plaint de na pas parvenir à faire de beaux poèmes alors même qu’il a de nombreuses belles idées. Et Mallarmé de lui répondre que ce ne sont pas les idées qui font un poème mais les mots. Et l’on ne peut taxer Mallarmé de ne pas être soucieux de la forme, au contraire. En somme la tentation mallarméenne du signifiant pur échouée au cinéma, et même doublement échouée puisque manquant complètement son objet, échouée et échouant à la fois. J’ai bien le sentiment que Lynch, excité de découvrir le maniement de la caméra, a oublié de lui donner un objet à filmer. Et ce malgré de réelles qualités par ailleurs, mais coutumières du cinéaste : direction d’acteurs impeccable, musique sidérante et fascinante, travail plastique du cadre même dans ce contexte particulier de la dv. En tout cas cet INLAND EMPIRE, loin d’être la révélation à laquelle je l’attendais, a été une très vive déception. Et quitte à me passer en boucle des séquences à décortiquer je préfère de loin retourner aux Histoires du cinéma où là je sais que j’ai vraiment quelque chose à voir. Car pour moi, cela est net, le dernier Lynch c’est vraiment « circulez y a rien à voir » !

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Commentaires
C
Il me semble qu'il ne faut pas se méprendre sur ce que Lynch entend par "idée". A lire les nombreuses déclarations où il emploie ce mot, tout laisse à penser que ces "idées" sont constituées d'éléments visuels et/ou sonores qui lui passent dans la tête, et quand l'une d'entre elles s'impose à lui comme point de départ, tout son travail consiste alors à l' associer à d'autres "idées":travail poétique par excellence, non?
M
Je te remet ici la critique que j'avais formulé sur le site d'Univerciné (mon assoc de cinéma). C'est une analyse que j'ai fait peu apres avoir vu le film . Elle s'appuie en partie sur des pistes émises par les Cahiers et des discussions avec des amis ayant vu le film:<br /> <br /> Comme souvent chez Lynch, Inland Empire c’est avant tout une ambiance. Une ambiance si particulière qu’il est difficile de la décrire par des mots. En tout, personnellement, il ne m’a fallu que quelques secondes pour rentrer dans le film et je n’en suis ressorti que 3 heures après (j’ai été jusqu’au bout du générique). Le film est envoûtant et captivant, comme peut l’être un rêve. Il est tournée en Dv, ce qui renforce son ambiance si spéciale. Le jeu d’acteur aussi contribue à cette atmosphère. Déphasage, voilà le mot qui résume le mieux l’ambiance du film. La Dv apporte chez certains réalisateurs, un sentiment de réalisme (type reportage) ; chez Lynch elle décale la réalité. Il se risque à tout (mobilité, fixité, flou, saturation), n’a pas peur des gros plan qui déforment ou des effets spéciaux basiques. Le film est un pari artistique magnifiquement remporté. Inland Empire serait elle alors seulement une oeuvre d’art plastique incompréhensible mais envoûtante ?<br /> <br /> Lynch aime à dire que ses films sont plus une histoire de ressenti que de réfléchi. Mais est ce pour cela que nous devons accepter de ne donner aucun sens au film ?<br /> Peut être pas, d’autant que de toute façon le cerveau cherche par lui même de façon plus ou moins consciente à rassembler, à donner une cohérence à l’ensemble. On se trouve proche d’une mécanique du rêve où des éléments pouvant tantôt sembler s’inscrire dans une ligne précise, tantôt se dérobant à toute compréhension s’agglomèrent ou plutôt s’emboîtent. L’univers de Lynch est composé de couches. Ces couches forment des niveaux de réalité (Le film que tournent les acteurs, les événements qui arrivent aux acteurs, la jeune fille polonaise qui regarde à la télé ce qui arrivent aux acteurs,…). Mais ces niveaux ne se superposent pas à la manière d’un mille feuille ou d’un globe terrestre (couches terrestre), mais plutôt à la manière d ‘un espace mathématique à 5 ou 6 dimensions (type hyper-cube et autre joyeuseté mathématique) où on peut avoir un univers U1 (on continue sur les maths) emboîté dans un univers U2, lui même emboîté dans U3, sachant que U3 est emboîté dans U1 (la c’était l’exemple, le film mélange au moins 4 ou 5 couches qui s’emboîtement sans jamais vraiment se contenir). On a des univers parallèles qui traiteraient de thèmes communs (un peu comme pour The Fountain) mais dont les mécanismes de transition se feraient non pas par superposition de symbole mais par glissement de réalité (un peu comme dans les films de Satoshi Kon). Les couches sont perméables. Des postures, des situations, des phrases se retrouvent d’une réalité à l’autre. Mais les réalités divergent. Ce qui s’y joue est à la fois semblable et différent.<br /> <br /> Mais qu’est ce qui s’y joue au fait ? Lynch résume son film en une phrase : « c’est l’histoire d’une femme qui a des problèmes » . Certes, on ne saurait même pour ceux qui n’ont absolument rien compris au film contredire ce fait. Mais c’est aussi une histoire d’adultère, l’histoire d’une femme qui a peur et qui souffre, l’histoire du deuil d’un enfant, une histoire de culpabilité lourde à porter. Tous les éléments ne composent pas une réalité compréhensible mais cela ne veut pas dire qu’on ne trouve pas des éléments signifiants dans le film. Il ne faut pas évidemment par contre chercher à tout comprendre. Ce serait d’une part assez vain, mais aussi limiterait le ressenti du film.<br /> <br /> Il y a donc une posture médiane à trouver devant le film. On peut en chercher un sens sans vouloir absolument tout analyser. Se mettre dans cette position est à la fois plus facile et plus difficile qu’il n’y paraît. Je n’ose imaginer le calvaire de quelqu’un qui serait hermétique au film. D’autant que le film dure 3 heures avec des fins à tiroir (on croit que c’est la fin, mais non ça continue ; une fin dans une couche n’implique pas la fin du film). Je me pose aussi la question d’une seconde vision. Est ce que cela ne va pas altérer ma lecture du film (plus on le voit, plus on l’analyse, plus on l’éclaire, moins on le comprends intimement)…<br /> <br /> Je rajoute un petit mot sur la façon dont Inland Empire peut s’inscrire dans l’ Œuvre de Lynch. Le film traite de thèmes très proches de ceux de Mulholland drive (Hollywood, le couple, la partie onirique…). Lynch assume pleinement ces ressemblances.<br /> Et de manière plus générale, dans le style, le fond, on retrouve beaucoup (la plupart ?) d’éléments de films antérieurs (ou des essais internet)de Lynch.<br /> Cela a amené certains à parler de film somme, d’autres d’auto-plagiat, de redite, voir d’auto-parodie.. J’avais exprimé mon opinion sur les similitudes dans les films de Miyazaki. Je ne m’y risquerai pas avec les films de Lynch. Personnellement je n’ai pas trouvé ça gênant, étant donné que malgré les points communs, les divergences entre MD (et autres films de Lynch) et IE sont importantes. Disons que c’est à chacun de se faire son opinion
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