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Le pavillon du cinéma
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1 février 2007

Bobby, d’Emilio Estevez

affiche

Voilà un film tout bonnement remarquable et assez loin de l’image que je m’en faisais suite à la bande-annonce. Pas le chef-d'oeuvre de ce début d'année, mais un vrai bon film, bien plus fin qu'il n'en a l'air à première vue. Nous sommes le 5 juin 1968 à l’Hotel Ambassador à Los Angeles. C’est l’excitation la plus complète car le soir même le sénateur Robert F. Kennedy, frère de JFK, candidat à l’investiture démocrate pour la course à la Maison Blanche, doit venir constater les résultats des primaires en Floride. Sa candidature est alors perçue comme porteuse de nombreux espoirs, marquant un tournant sur de nombreux sujets cruciaux pour les Etats-Unis : guerre au Vietnam, droits civiques, domaine social, ou même écologie. Alors qu’il vient de remporter les primaires en Californie, fêtant sa victoire par un bain de foule, Bobby est assassiné par des coups de feu à bout portant.

Alors pourquoi j’ai aimé ce film ? J’y suis allé en pensant qu’on allait me servir une sorte de mythe d’un modèle sacrifié, portrait d’un homme politique par idéalisation du fait même de son absence d’exercice du pouvoir. Je craignais qu’on le pare de toutes les qualités, l’histoire ne pouvant contredire ce fantasme. Mais il n’en est rien, ou plutôt ce n’est pas vraiment le propos du film que de savoir ce qu’aurait fait Bobby au pouvoir. L’important reste les idées diffusées dans sa parole, et comment elles résonnaient alors et résonnent encore toujours de manière aussi forte. Car le portrait de Bobby est tout entier en creux dans ce film. Le personnage reste invisible durant toute la projection. De lui nous n’auront que sa voix, à travers des extraits de discours – magnifiques – qui accompagnent les personnages, des images, photos ou reportages télés, et finalement des bouts de son corps – mains, dos, chevelure, mais jamais le visage – au moment du bain de foule. Le portrait de Bobby finalement repose tout entier dans l’étoilement des personnages qui se trouvent ce jour-là à l’Ambassador, dans le lien qui peut être fait entre leur vie et l’engagement politique du sénateur. Cette façon de procéder est d’ores et déjà une véritable réussite, tout en subtilité et efficacité.

foule
Tiens! mais qui c'est donc que je reconnais sur cette photo? (5 acteurs connus à repérer: et oui maintenant des jeux sont inclus dans la présentation des films!)

Ce sont donc les petites histoires qui prennent le relais de la grande Histoire, qui la façonnent et lui donnent consistance. Le film se présente ainsi comme un « film chorale ». Là aussi, au départ, j’ai plutôt un a priori négatif. Je ne suis pas vraiment friand de ce type de mise en scène ou de construction. Mais là toute la signification du film repose sur ce procédé, et l’étoilement ne fait sens que pour le spectateur, et non pour une intrigue linéaire dont on connaît dès le début l’issue. Les personnages peuvent se rencontrer, mais dans le déroulement de l’action ils restent globalement étrangers les uns aux autres. Si leurs histoires se touchent, c’est d’abord le spectateur qu’elles touchent, et c’est dans son esprit que les vraies rencontrent s’effectuent entre ces protagonistes dispersés tout au long de la trame. Nous avons donc affaire à une galerie de personnages, interprétés par un gratin hollywoodien sidérant (Anthony Hopkins, Demi Moore, Sharon Stone, Elijah Wood, Lindsay Lohan, Laurence Fishburne, Helen Hunt, Martin Sheen, Christian Slater, Heather Graham, etc.) qui tous de près ou de loin vont, à leur façon, parler de Bobby, de ce qu’il représentait, aurait pu représenter, représente encore. L’Ambassador devient une micro société que l’on peut observer depuis les cuisines reposant sur le travail des émigrés mexicains jusqu’aux suites des riches clients, depuis les actions des militants kennediens jusqu’aux déboires d’une star de la chanson en passe de devenir complètement has been. Spectacle total où l’on ne s’ennuie pas, multitude des registres traités, qualité de l’interprétation. Ce film donne envie de raconter chacune des ces petites histoires insignifiantes et qui pourtant sont toutes si précisément et justement ciselées qu’elles en deviennent autant de bijoux précieux, s’imbriquant les uns aux autres pour former une magnifique parure qu’on ne se lasse pas une seconde de contempler.

Mais ce film est remarquable surtout par son actualité, et donc sa dimension politique très forte. Si le sujet de base se veut politique, le réalisateur, Emilio Estevez, se défend d’avoir voulu mener ce projet en réaction avec la politique de Bush. Son scénario, il dit l’avoir entamé il y a une dizaine d’années, avant le 11 septembre donc. Néanmoins, le message politique porté par le Bobby du film se présente comme l’antithèse exacte de la politique menée par l’administration Bush depuis plus de 6 ans maintenant. Si le parallèle entre la guerre du Vietnam et la guerre en Irak saute aux yeux, et doit éminemment parler au peuple américain, l’actualité du message de Robert Kennedy se donne à voir d’abord du côté des droits civiques et sociaux. L’exploitation de la main d’œuvre immigrée, les inégalités en termes de répartition des richesses, les problèmes de tolérance, tout cela apparaît tout au long du film, en filigrane des personnages et de la parole de Bobby, et résonne comme l’envers de la politique actuelle de Georges W. Bush. La société américaine de la fin des années 60, pleine d’aspirations nouvelles est donnée à voir en comparaison de celle des années 2000. Le parallèle est puissant, et nous renvoie à notre monde présent comme étourdis. D’où très certainement cet engouement à Hollywood pour ce film, et l’engagement de nombreux acteurs dans ce projet, pour le soutenir et le porter aux écrans.

Objet cinématographique et politique à la fois, Bobby d’Emilio Estevez est un film que je recommande chaudement. Il m’a profondément ému, m’a fait rire aussi, m’a intensément passionné, et ce malgré à la fois les ressorts dramatiques et politiques dont j’avais déjà l’idée avant de le voir. Car ce film dépasse ses propres apories. Il est suffisamment simple, clair, et il porte un discours suffisamment fort pour éviter de parler pour de rien dire. Le film parle, et à travers lui un certain Bobby dont on ne sait plus exactement de qui il s’agit à la fin du film, fantasme perdu ou mythe fondateur d’un renouveau de pensée. Et quand on compare ces discours à ceux auxquels on a droit en cette période pré-électorale en France on a envie de pleurer, et on se dit que l’emphase et la grandiloquence ça a du bon surtout quand on a affaire à des hommes politiques qui ont quelque chose à dire et à défendre. Là, franchement, je voterais bien Bobby en 2007…

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